L’anonymat sur les réseaux sociaux est-il un facteur de liberté ? La psychanalyste Claude Halmos répond


La possibilité de cacher son identité dans l’espace public, en s’y présentant sous un pseudonyme, a toujours eu deux fonctions, très différentes. Elle permet à ceux qui doivent, pour parler ou agir, braver des interdits de (tenter) d’échapper à la répression qui menace leur liberté, leur emploi ou leur vie. Les militants, les résistants comme les lanceurs d’alerte peuvent – et c’est heureux – en user. Mais elle a aussi une autre fonction, moins noble, celle de permettre d’accomplir, en restant caché, des actes qui portent préjudice aux autres : dénonciations, harcèlement, diffamation, appels à la haine.

Ces deux possibilités sont à l’œuvre aujourd’hui sur les réseaux sociaux, et la seconde, qui génère de nombreux débats, conduit beaucoup d’intervenants à demander la suppression du « pseudonymat ». Notre propos n’est pas de prendre parti sur ce point, mais d’interroger ce que la possibilité du masque (autrement dit le pseudonyme) peut provoquer dans les têtes, et notamment dans celles des plus jeunes.

Que représente, psychologiquement, le recours à un pseudonyme ?

Les tenants du recours aux pseudonymes sur les réseaux s’appuient en général sur deux arguments. Ils contestent d’abord l’impunité que ces alias donneraient aux auteurs d’infractions, en rappelant qu’il est possible aux autorités de rechercher l’identité qu’ils cachent. C’est incontestable, mais il n’en reste pas moins que, même sans leur donner, dans la réalité, l’impunité, les pseudonymes accroissent certainement les fantasmes d’impunité de ces auteurs. Ils ne sont pas en effet sans connaître les difficultés d’une telle recherche ; difficultés qui, majorant l’impuissance de leurs victimes, peuvent d’ailleurs renforcer leur propre sentiment de toute-puissance.

Mais certains défenseurs du recours aux pseudonymes évoquent aussi la liberté que ces alias donneraient à des gens qui, si cette possibilité leur était refusée, n’oseraient pas s’exprimer sur les réseaux. Et cet argument mérite que l’on s’y arrête, car la liberté que ces défenseurs invoquent n’est pas sans poser question.

Les entraves à la liberté d’un être sont en effet de deux ordres : elles peuvent être extérieures à lui, réelles, et l’exposer de ce fait à des dangers qui le sont tout autant. Mais elles peuvent aussi être intérieures, fantasmatiques, et néanmoins aussi effrayantes et génératrices de souffrances pour lui que si elles l’exposaient à des risques réels.

Certaines personnes, par exemple, disent la peur qu’elles ont toujours d’exprimer, même face à des proches, et même sur des sujets anodins, leur opinion. Elles souffrent de ne pas réussir à manifester, par un « je » qui les différencie des autres, leur singularité, et attribuent souvent cette impossibilité à leur « personnalité ». Pour découvrir, en analyse, que cette peur s’est en fait construite en eux dans leur enfance, du fait par exemple de parents qui, décidant tout à leur place, ont nié leur droit à la parole. Mettant en place un interdit que leurs enfants ne pouvaient franchir sans les mécontenter, ces parents les ont contraints au silence, mais aussi, par là même, empêchés de faire le chemin que tout être doit faire pour oser parler. La parole en effet – la langue française le dit – se « prend ». Et, s’agissant de la question du pseudonyme et de la liberté, cette notion est essentielle.

Il vous reste 58.81% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.



Source
Catégorie article Politique

Ajouter un commentaire

Commentaires

Aucun commentaire n'a été posté pour l'instant.